L'indigestion des ressources humaines
L'écroulement Artésien tient davantage de problèmes de rapports sociaux que de qualités footballistiques.
Les rapports sociaux inscrivent les humains dans une trajectoire de vie à travers des interactions et des liens d'interdépendance. Karl Marx est allé plus loin en liant ses rapports à des logiques de production. Établissant la notion de « rapports de forces. »
Décrites comme les pratiques mises en œuvre pour mobiliser les énergies humaines dans l'activité d'une organisation, les ressources humaines (RH) sont une donnée essentielle de la bonne santé d'un club et d'une équipe.
La difficulté pour les
entraîneurs est de savoir se positionner sur deux axes, bien
distincts d’un point de vue de leur gestion. Le premier est celui du coach, au
sens, qu’il agit sur l’individu en l’aidant à progresser dans ses choix et ses
actes. Le second est celui de responsable des ressources humaines. Ce rôle agit
à l’échelle du collectif avec pour principale problématique de faire qu’une
somme d’individus ne fassent pas une accumulation de forces diverses et variées
mais la naissance d’un collectif unique et structuré. « Notre métier,
c’est de mettre les joueurs dans les meilleures dispositions, témoigne M.
Allegri, l’ex entraîneur italien de la Juventus. Cela ne dépend pas
seulement du terrain, mais des rapports que tu as avec eux, comprendre ton
équipe, sentir dans quel état elle est. »
Depuis son arrivée dans l’Artois,
Philippe Montanier a développé une idée qu’il a érigée, petit à petit, comme un
principe fondamental au fonctionnement de son équipe. Dans sa communication
comme dans ses décisions, la notion de groupe supplante celle de onze titulaire.
« Je suis plus sensible au groupe, admet-il. J’ai la chance
d’avoir un effectif de qualité, pas seulement onze joueurs. Ce n’est pas simple
car même les joueurs qui ne sont pas dans le groupe pourraient être titulaires. »
Un principe noble apparenté à une
tendance bien connue des responsables RH à savoir le management collaboratif. L’idée
s’appuie sur l’intelligence individuelle au profit du collectif « Le
management collaboratif part du principe que les salariés ont des capacités, du
goût pour le travail, le sens des responsabilités et l'envie d'être associés
aux projets de l'entreprise, donc qu'il est possible de leur faire confiance. »
explique un expert du sujet.
Principe donc qui s’est très récemment retourné
contre le coach alors que son capitaine désigné, Steven Fortes, sortait de l’infirmerie
pour postuler à une place dans l’équipe. Le défenseur n’a d’ailleurs pas traîné
pour revendiquer son statut dans le groupe « Le brassard de capitaine,
c’est forcément une chose à laquelle je tiens car c’est une reconnaissance de
la part du staff et du coach de m’avoir fait confiance pour ce rôle. Quand le
capitaine est blessé, il faut forcément que quelqu’un porte le brassard.
Guillaume l’a très bien fait pendant cette période, maintenant je n’en ai pas
discuté avec le coach et Guillaume mais s’il m’a nommé en début de saison, je
ne vois pas pourquoi je n’aurais pas le brassard quand je reviendrai en tant
que titulaire. »
Profitant d’un concours de
circonstances, notamment de la blessure de Gradit puis de celle de Radovanovic,
l’ex-toulousain a ainsi refoulé très rapidement les pelouses pour ne plus les
quitter. Montanier, cohérent avec lui-même, a ainsi appliqué sa logique de
groupe, pensant qu’un tel évènement ne pourrait être que bénéfique à l’équipe
en place, dont les dynamiques de points et de jeu apparaissaient comme
cohérentes et solides. Résultat, le RCL n’a pris que 7 points sur 21 possibles
et la défense, jusqu’à présent imperméable, vient d’encaisser 7 buts en deux
rencontres. Pire, malgré un niveau de jeu défaillant, l’ex capitaine blessé,
fut maintenu à son poste.
Refusant de ramener cette
mauvaise passe à ses choix d’hommes ou de stratégies tactiques, PM veut croire
que sa philosophie fera sortir par le haut le Racing « Même s’il y a eu
de très bons matches, on reste sur 2, 3 mauvaises prestations. On va débriefer
ensemble, c’est là que l’on va voir la qualité du groupe pour pouvoir se sortir
de là. Steven est à l’image de l’équipe sur les 3 derniers matches.
Ce n’est pas particulièrement Steven, c’est l’ensemble de l’équipe. On perd ce
qui faisait notre force, c’est-à-dire la solidité et une certaine qualité
collective puis on a désormais une certaine appréhension suite aux mauvaises
performances. On perd un peu de notre sérénité. Il va falloir y remédier ».
Pourtant, l’organisation en 3-4-3
paraît avoir touché ses limites en ce début d’année 2020, n’offrant à ses
hommes que peu de solutions offensives et guère davantage de garanties
défensives. Un faux procès si l’on en croit les récentes confidences d’Allegri « Tu
dois avoir une bonne organisation défensive, mais dans les trente derniers
mètres, c’est le joueur qui décide. Une passe, un dribble, une frappe, c’est
lui qui décide. Dans les vingt derniers mètres, quand tu as 20 joueurs dont 10
adversaires, tu ne peux pas imaginer qu’un schéma va te faire marquer. Oui, tu
peux travailler l’appel du relayeur, mais c’est le joueur qui décide, toujours ».
Le technicien italien, par ses propos, effectue donc un transfert de
responsabilité en dédouanant les caractéristiques tactiques établis par le
staff, et les faits de jeu générés par l’animation et la volonté des joueurs
présents sur le terrain. Transfert opéré régulièrement par
Montanier, pointant « le manque de qualité technique » de ses
hommes.
Toutefois, le stratège transalpin va plus loin dans son propos : « Tu peux jouer avec 2 milieux récupérateurs,
1 seul, 3, avec 2 attaquants ou un seul, tout ça ce sont des détails ! Ce qui
compte c’est d’atteindre l’objectif, ajoute-t-il. Donc, les meilleurs
doivent être sur le terrain. Et si les meilleurs, ce sont 2 récupérateurs et 2
ailiers, alors je mets 2 récupérateurs et 2 ailiers. Si les meilleurs ce sont 3
milieux et 1 pointe, alors je mets 3 milieux et 1 pointe. » Un argument envoyé bien souvent
au visage de l’ex entraîneur rennais par ses détracteurs, lui reprochant ses choix
tout autant que ses absences de choix. Et donc, de ne pas forcément faire jouer
les meilleurs comme
de ne pas savoir faire évoluer son logiciel de pensée s’agissant de la
disposition tactique de ses joueurs.
En somme, ils observent que la logique de groupe profitant aux statuts de certains, se fait au détriment de celui d'autres, pourtant pas forcément moins méritants (Perez, Keita, Boli, Banza).
En somme, ils observent que la logique de groupe profitant aux statuts de certains, se fait au détriment de celui d'autres, pourtant pas forcément moins méritants (Perez, Keita, Boli, Banza).
Des critiques que le coach a toujours pris soin de repousser « Je
n’ai pas très envie de justifier mes choix. » rétorquait-il lorsqu’on
l’interrogeait il y a plusieurs mois sur la présence d’Haïdara parmi les
titulaires.
Sentant, malgré tout, que le point de rupture est proche, Montanier a décrété une prise de recul générale « On va couper un peu, s’oxygéner les têtes. Les joueurs étaient très affectés après la rencontre. Après ce n’est qu’un match, il faut évacuer le passé. »
Évacuer le passé sans fuir le présent ni renier le futur. Tout un programme sur lequel planche le board Sang et Or depuis plusieurs jours.